Le sac des tuileries en 1848
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Le sac des tuileries en 1848

 

Alors, une joie frénétique éclata, comme si, à la place du trône, un avenir de bonheur illimité avait paru; et le peuple, moins par vengeance que pour affirmer sa possession, brisa, lacéra les glaces et les rideaux, les lustres, les flambeaux, les tables, les chaises, les tabourets, tous les meubles, jusqu’à des albums de dessins, jusqu’à des corbeilles de tapisserie. Puisqu’on était victorieux, ne fallait-il pas s’amuser? La canaille s’affubla ironiquement de dentelles et de cachemires. Des crépines d’or s’enroulèrent aux manches des blouses, des chapeaux à plumes d’autruche ornaient la tête des forgerons, des rubans de la Légion d’honneur firent des ceintures aux prostituées. Chacun satisfaisait son caprice; les uns dansaient, d’autres buvaient. Dans la chambre de la reine, une femme lustrait ses bandeaux avec de la pommade; derrière un paravent, deux amateurs jouaient aux cartes; Hussonnet montra à Frédéric un individu qui fumait son brûlegueule accoudé sur un balcon; et le délire redoublait son tintamarre continu des porcelaines brisées et des morceaux de cristal qui sonnaient, en rebondissant, comme des lames d’harmonica. 

Puis la fureur s’assombrit. Une curiosité ob scène fit fouiller tous les cabinets, tous les recoins, ouvrir tous les tiroirs. Des galériens enfoncèrent leurs bras dans la couche des princesses, et se roulaient dessus par consolation de ne pouvoir les violer. D’autres, à figures plus sinistres, erraient silencieusement, cherchant à voler quelque chose; mais la multitude était trop nombreuse. Par les baies des portes, on n’apercevait dans l’enfilade des appartements que la sombre masse du peuple entre les dorures, sous un nuage de poussière. Toutes les poitrines haletaient; la chaleur de plus en plus devenait suffocante; les deux amis, craigant d’être étouffés, sortirent.

Dans l’antichambre,debout sur un tas de vêtements, se tenait une fille publique, en statue de la Liberté, – immobile, les yeux grands ouverts, effrayante.

Gustave Flaubert. L’Education sentimentale.

 

Devoir:

1. Quelle impression l’écrivain veut-il communiquer à son lecteur?

2. Qui sont les témoins de cette scène?

3. Relevez tous les termes qui désignent le peuple amassé dans le palais. Quelle image du peuple Flaubert veut-il transmettre au lecteur?

4. Par quels procédés le grand désordre de cette scène est-il suggéré?

5. Relevez tous les termes appartenant au lexique de la vie affective décrivant les émeutiers. Quels peuvent être les effets de ce vocabulaire sur le lecteur?

6. Dans la description Flaubert utilise des images brèves. Expliquez l’efficacité de ce procédé.

7. Relevez un terme qui évoque le bruit à l’intérieur du palais, trouvez-lui trois synonymes.