Le chevalier de la reine
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Le chevalier de la reine

 

Un autre jour, elle me conduisit, sur la route du village, jusqu’à la ferme de Félix: c’était un "bastidon" au bord de la route, dont les volets étaient toujours fermés, parce que Félix, qui était maçon, ne rentrait pas avant le soir: mais en son absence, ses richesses étaient gardées par un chien immence, si maigre qu’on eût dit un squelette velu, et qui bondissait vers les passants en s’étranglant au bout d’une chaîne, dont l’épaisseur était fort heureusement proportionnée à la férocité de l’animal.

La raine me déclara que si j’allais le caresser, je serais nommé capitaine des Gardes du Palais.

Sans la moindre hésitation apparente, je m’avançais vers le fauve – en comptant sur le magnétisme bien connu du regard de l’homme d’une part, et d’autre part, sur la solidité de la chaîne.

Ma vue sembla surexciter l’animal: je m’arrêtai, prudemment, au bord du demi-cercle qu’avaient tracé ses allées et venues: du fond de la niche, il bondit, mais d’un élan si prodigieux que la boucle du collier céda. Isabelle poussa un cri de terreur. J’esquissai un bond en arrière: trop tard! Les longues pattes agrippèrent mes épaules, je vis briller quatre longues pattes agrippèrent mes épaules, je vis briller quatre canines, aussi grandes et aussi pointues que des breloques d’explorateur… De toutes mes forces, je repoussai le dur poitrail, mais une longue langue douce me lécha furieusement le visage, tandis que la bête féroce poussait de longs gémissements. 

C’était un tendre méconnu, un solitaire pathétique, une brute enragée d’amour, qui s’aplatit ensuite à mes pieds pour lécher mes mollets en pleurant de joie… J’eus toutes les peines du monde à m’en débarrasser car il rampait sur mes pas, et m’eût suivi jusqu’au bout du monde. Isabelle avait pris la fuite, elle revint en courant, pendant que je rebouclais le collier du fauve. Elle me dit simplement – d’assez loin: "Chevalier, je suis contente de vous". Il me sembla que c’était un peu froid: mais le soir même, en racontant cet épisode à son père, elle affirma que j’avais terrassé la bête féroce. Elle l’avait d’ailleurs peut-être cru, car pendant ma trop facile victoire, elle avait caché son visage dans ses mains. 

Marcel Pagnol. Le Temps des secrets.

 

Devoir:

1. Donnez un autre titre au texte.

2. Quelle sera la récompense du Chevalier s’il réussit son épreuve?

3. Que nous apprend cette récompense sur le caractère d’Isabelle?

4. Relevez un complément circonstanciel qui montre que le narrateur est très amoureux.

5. Citez deux phrases qui trahissent la peur du "chevalier" et la volonté de se rassurer.

6. Quel nom commun transoforme le chien en créature redoutable?

7. Retrouvez quelques termes dont l’exagération contribue à augmenter l’angoisse du lecteur.

8. Commentez le groupe nominal "une longue langue douce".

9. Après le premier portrait du fauve, quels effets produisent les premières phrases du dernier paragraphe?

10. Quelle phrase laisse transparaître un léger doute sur les sentiments d’Isabelle?