La porte du malheur
^ Вверх

La porte du malheur

 

La brûlure du soleil gagnait mes joues et j’ai senti des gouttes de sueur s’amasser dans mes sourcils. C’était le même soleil que le jour où j’avais enterré maman, et comme alors, le front surtout me faisait mal et toutes ses veines battaient ensemble sous la peau. A cause de cette brûlure que je ne pouvais plus supporter, j’ai fait un mouvement en avant. Je savais que c’était stupide, que je ne me débarrasserais pas du soleil en me déplaçant d’un pas. Mais j’ai fait un pas, un seul pas en avant. Et cette fois, sans se soulever, l’Arabe a tiré son couteau qu’il m’a présenté dans le soleil. La lumière a giclé sur l’acier et c’était comme une longue lame étincelante qui m’atteignait au front. Au même instant, la sueur amassée dans mes sourcils a coulé d’un coup sur les paupières et les a recouvertes d’un voile tiède et épais. Mes yeux étaient aveuglés derrière ce rideau de larmes et de sel. Je ne sentais plus que les cymbales du soleil sur mon front et, indistrinctement, le glaive éclatant jailli du couteau toujours en face de moi. Cette épée brûlante rongeait mes cils et foullait mes yeux douloureux. C’est alors que tout a vacillé. La mer a charrié un souffle épais et ardent. Il m’a semblé que le ciel s’ouvrait sur toute son étendue pour laisser pleuvoir du feu. Tout mon être s’est tendu et j’ai crispé ma main sur le revolver. La gâchette a cédé, j’ai touché le ventre plié de la crosse et c’est là, dans le bruit à la fois sec et assourdissant que tout a commencé. J’ai secoué la sueur et le soleil. J’ai compris que j’avais détruit l’équilibre du jour, le silence exceptionnel d’une plage où j’avais été heureux. Alors j’ai tiré encore quatre fois sur un corps inerte où les balles s’enfonçaient sans qu’ily parût. Et c’était comme quatre coups brefs que je frappais sur la porte du malheur. 

Albert Camus. L’Etranger.

 

Devoir:

1. Quelle est l’idée essentielle de ce texte? Quelle en est la dominante tonale?

2. Relevez toutes les figures exprimant l’analogie qui décrivent le soleil et la lumière. Quelle est la fonction essentielle de ces figures?

3. Relevez dans le texte tous les éléments indiquant que le narrateur ressent les effets du soleil comme une douleur physique.

4. Relevez une figure exprimant l’opposition, qui met en rapport l’élément liquide et le feu au moment de tirer.

5. Quelle est la figure énoncée dans la dernière phrase? Caractérisez le ton de cette conclusion.

6. Quelle importance prend le champ lexical des armes dans le texte?

7. En quoi les figures du discours tendent-elles à rendre le personnage moins responsable de son acte au moment du meurtre?