Travaux dirigés
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Travaux dirigés

 

Les mots étrangers

 

Le mot a à la fois une forme et un sens; un nom et une chose désignée. Cette définition nous permet de distinguer différents types d'emprunts: 1. Emprunt du nom et de la chose. —C'est le cas de mots du type concerto, basket-bail, mazurka dans lesquels on importe en même temps la chose et le mot qui la désigne sous sa forme originale. 2. Emprunt du nom sans la chose,    dans lequel le mot est pris sous sa forme étrangère, sans emprunt de la chose désignée qui de­ meure une réalité strictement allogène, par exemple: izba, vizir, 3. Emprunt de la chose sans le nom, celui-ci étant calqué au moyen d'équivalents indigènes, ainsi mont-de-piété (ital. monte-di-pieta); quartier-maître (all, Quartienneister); dada (angl. hobby- horse) autoroute (ital. autostrada);  pot-pourri  (esp. cita protrida).

Francisation du nom. — Esplanade (ital. spianata); boulingrin  (angl. bowling-green). A quoi on ajoutera la contamination de la forme, accompagnée souvent de fausses étymologies, ainsi: contre danse (angl. country-danse, 'danse de la campagne'); choucroute (all. sauerkraut, c'est-à-dire 'herbe' kraut, 'aigre' sauer); hausse-col (germ. hahkot, 'cotte du coup'). Francisation de la chose qui, en entrant dans la langue, prend des connotations particulières; ainsi relire, habiter À quoi on ajoutera la contamination de la chose, lorsque deux mots de forme identique, mais de sens différent dans les deux idiomes, réagissent l'un sut l'autre. Ainsi le français réaliser 'rendre réel' prend le sens de l'anglais to realize 'se rendre compte'; le français créature 'chose créée' prend le sens de l'italien creatura 'personne-protégée et poussée par une autre'.    Tous ces faits (...) visent à l'assimilation de ces corps étrangers et à leur intégration dans le système de la langue; intégration qui se fait aux différents niveaux: phonétique, morpho-lexical (suffi­xation et préfixation), syntactico-lexical (composition). A tous ces niveaux, le mot mal intégré dans le système indigène, sans support  dans la conscience linguistique de l'emprunteur est particulièrement vulnérable et exposé à des altérations de la forme et  du sens.

P. Guiraud. Les mots étrangers. Paris, 1971.

 

Questions demandant la réflexion

 

  1. Que représente le mot du point de vue de sa structure, morphologie et nomination?
  2. Qu’est-ce qu’on peut emprunter de la langue étrangère?
  3. Comment se fait l’assimilation des mots étrangers?

 

L'INTÉGRATION MORPHOLOGIQUE

L'allogénéité d'une forme se trahit non seulement par sa figure phonétique, mais par sa construction; la plupart des mots sont, en effet, formés par la combinaison de plusieurs éléments racines, suffixes, préfixes.

Or, chaque langue possède son système de composition et de dérivation propre; systèmes qui présentent, d'autre part, certaines analogies du fait de l'origine commune de nos idiomes européens.

Ainsi le français, l'espagnol, l'italien ont des suffixes et des préfixes communs qui remontent à une même forme latine. Ils peuvent avoir pris dans chaque langue des formes particulières, mais assez  voisines cependant pour être facilement ramenées l'une à l'autre. [...]

Il peut se faire que la forme du mot soit inconsciemment altérée pour lui permettre d'entrer dans le  système; soit par substitution de finale et création d'un pseudo-suffixe, soit par fausse étymologie à partir de laquelle le radical lui-même est refait. [...]

L'anglais fournit de nombreux exemples du procédé: paletot, paquebot, chelin  ('shilling'), boulingrin ('bowling-green'), redingote ('riding-coat'). La francisation peut se faire aussi par fausse étymologie [...]. L'italien offre des  exemples de: moscardino > muscadin (d'après muscade), celata (casque fermé) salade; entrecciate (pas entrelacés) > entrechat [...]

 L'anglais nous a donné: counitry-danse (danse de la campagne) > contredanse, bull-dog (chien de  taureau) bouledogue (chien en forme de boule); wolf-dog  (chien de loup) > chien-loup (chien à l'appa­rence d'un loup); aunt-sally (jeu de la tante Sally) > âne salé et aussi âne sellé qui est peut-être à l'origine du mot anglais.

Tous ces calques tendent à ramener la forme étrangère à la norme indigène.

P. Guiraud.  Les mots étrangers.

 

Questions demandant la réflexion:

 

  1. Comment se trahit l’allongéité de la forme du mot?
  2. Quelles sont les particularités des suffixes des langues romanes?
  3. Quels sont les voies par lesquelles le mot étranger entre dans le françias?

 

L'INTÉGRATION LEXICALE

L'assimilation lexicale se fait par un double processus: le calque ou le glissement sémantique. 

Le calque morphologique consiste à traduire la forme étran­gère par son équivalent indigène. [...] Le calque est la solution la plus naturelle à la francisation des langues techniques. La langue du foot-ball, par exemple, traduit goal par but, penalty par pénalité, shoot par tir, etc. L'une des difficultés majeures du calque tient au fait que les mots tirent leurs significations et leurs valeurs de leur place au sein du système linguistique et que le champ structural de deux mots correspondants est rarement identique dans les deux systèmes. Le calque morphologique est  surtout employé pour la traduction de locutions complexes.

A la langue des sports nous devons: défendre les couleurs, avoir le meilleur, le tenant du titre, gagner dans un fauteuil, courir contre la montre, nager le  cent mètres, être en forme, faire un temps admirable, etc. La langue des sciences nous a donné: contrainte morale, [...] psychologie expérimentale, loi de l’offre et de la demande, etc. Le calque sémantique en revanche est beaucoup plus insidieux, c'est  le procès par lequel le sens d'un mot étranger déteint sur un mot indigène de forme identique ou voisine.

Particulièrement typique est le calque anglais réaliser — 'se rendre compte'.

 

INTÉGRATION GRAMMATICALE 

La langue finit toujours par filtrer, assimiler et épurer le vocabulaire. Le danger, en revanche, est réel lorsque sont; mises en cause les structures de l'idiome sa morphologie et sa syntaxe.

Les italianismes nous avaient déjà posé le problème des pluriels de mots comme solo, concerto, etc. Mais le système grammatical de l'Italien est voisin de celui du français, alors que celui de Vannais nous est entièrement étranger.

Les mots anglais mal assimilés nous posent non seulement le problème du pluriel: la dys ou ladies, gentlemans ou gentlemen., etc., mais celui, tout nouveau du genre, du fait qu'il y a en anglais un genre; ainsi faut-il dire un interview, notre masculin représentant une sorte de forme neutralisée, ou une interview par une association plus ou moins consciente avec une entrevue.

 

PARLONS-NOUS  FRANGLAIS 

Notre langue est actuellement soumise à une puissante et inquié­tante pression. Certes le phénomène n'est pas nouveau et depuis trois siècles les grammairiens n'ont jamais cessé de dénoncer l'italomanie, l'hispanomanie, l'anglomanie des littérateurs, des mondains, et des jargonneurs de tout   poil.

... Une notable partie de ces emprunts n'a eu qu'une vie épisodique, n'est restée que quelque temps à la surface de la langue pour en disparaître bientôt. L'examen des anglicismes nous amène aux mêmes réflexions. Sur quelque 700 termes relevés dans le dictionnaire, combien sont-ils réellement en usage? M. Henri Mitterand remarque dans son étude sur Les  mois français  que parmi les 1000 mots les plus fréquents de la langue il n'y a qu'un seul terme étranger: speaker, et que la proportion est  de 3 % pour les quelque 50 000 mots du Petit Larousse, soit 1500 mots pour l'ensemble des langues étrangères.

Que reste-t-il des quelque 3000 anglicismes dénombrés par M. Fr. Mackenzie; et nous ne devons pas oublier, d'autre part, que, selon le même auteur, nous avons, nous, durant la même période, exporté plus de 5000 mots en Angleterre.

Ceci devrait tempérer notre pessimisme en montrant le caractère en grande partie affectif et irrationnel.

P. Guiraud. Les mots étrangers. Paris, 1971.

 

Questions demandant la réflexion

 

  1. Comment se fait l’assimilation lexicale? Montrez – le  sur des exemples tirés de différentes langues?
  2. En quoi consiste la difficulté du calque morphologique?
  3. Quelle est la difficulté de l’intégration grammaticale?
  4. Pourquoi les linguistes s’inquiètent de la pression de la langue anglaise?
  5. Prouvez par l’analyse des articles de  Petit Robert que le pessimisme n’est pas fondé.

 

L’avenir de la langue française

C’est en 1783 que le célèbre Discours sur l’universalité de la langue française  valut à Rivarol (écrivain et journaliste) le prix de l’Académie des sciences et lettres de Berlin. Cela fait deux cents ans, donc, ou quasiment. Le présent livre tire son sens, pour une part, de celui même que revêt la célèbration (un peu tardive) de ce deuxième centenaire. Mais les temps ont changé. Aujourd’hui, il faudrait, selon bien des apparences, remplacer «française» par «anglaise» et de «l’Europe» par «du monde». Et le texte de Berlin, ainsi ravaudé, constituerait le sujet d’un concours plus disputé encore que celui qui proposait aux contemporains de Ravarol cette triple interrogation: «Qu’est-ce qui a fait de la langue française la langue universelle de l’Europe? Par où mérite-t-elle cette prérogative? Peut-on présumer qu’elle la conserve?»

Il n’y aurait pas lieu de se demander pourquoi le français en particulier, plutôt que n’importe quelle autre langue, subit la domination de l’anglais si l’histoire n’était celle que l’on sait. A beaucoup, elle apparaît comme celle d’un détrônement. Mais quelle est exactement la situation? Pour la voir dans son objectivité et pour l’interpréter, il est aussi nécessaire de renoncer aux facilités du sarcasme que de se déprendre des passions partisanes. C’est dans un esprit de vérité que l’on doit analyser l’attitude de ceux qui vivent la présente étape du destin de la langue française comme le temps tragique de la retraite. Retraite sous les coups qui ouvrent une double brèche. Car  la vigueur du français serait entamée sur deux fronts. Le premier, interne, serait la langue elle-même, que l’on dit assaillie dans son vocabulaire, et même dans sa grammaire, par une marée d’américanismes menaçant de la submerger. Le deuxième front, externe, opose l’anglais au français dans une lutte inégale pour la diffusion universelle, autrefois réalisée, répète-t-on, au profit du français, qui s’en trouve, aujourd’hui, évincé par l’anglais.

Est-ce un hasard si cette brèche est double? Ne peut-on pas suggérer un lien logique entre les deux failles qui paraissent faire ainsi chanceler l’édifice du français? Les gardiens sourcilleux des emplois les plus purs soulignent que les étrangers ont de moins en moins de raisons de s’attacher à une langue envahie de mots américains, une langue, écrivait naguère l’un des plus connus, «que tous les jours bafouent et ridiculisent notre grande presse, notre radio et nos affiches».

La vigilance défensive à l’égard des dérives du franglais apparaîtrait ainsi, pour la francophonie, comme un des moyens principaux d’une restauration.

Claude Hagège. Le français et les siècles. Paris, 1976

 

Devoirs

 

  1. Essayez de trouver des mots qui définissent l’idée générale de différentes étapes  du texte.
  2. Remplacez «par une marée d’américanismes menaçant de la submerger» par une expression de même sens.
  3. A quel vocabulaire est emprunté le mot brèche? Par quel(s) autre(s) mot (s) pourriez-vous le remplacer?