EE3 Les emprunts
Le vocabulaire de la langue française change constamment. Son lexique varie et s'enrichit à toute époque.
Parmi les différentes sources d'enrichissement lexical il faut signaler l'emprunt aux autres langues. Ce phénomène linguistique est étroitement lié au développement de la société, à l'histoire du peuple.
Le terme «emprunt» a un sens assez vague, ou trop large, dans certains ouvrages linguistiques. Il est donc important de trouver une définition qui soit plus précise. L. Deroy, dans son livre sur l'emprunt linguistique, fait remarquer qu'on «ne peut logiquement qualifier d'emprunts dans une langue donnée que des éléments qui y ont pénétré après la date plus ou moins précise marquant conventionnellement le début de cette langue».
L'emprunt est un échange de mots entre deux langues gardant chacune son indépendance. De ce point de vue il est faux de qualifier d'emprunts les mots pris par le français à l'argot ou à des terminologies diverses, ou bien aux dialectes, car l'argot, les différentes terminologies et les dialectes ne sont que des variétés ou des rejetons du français.
L'emprunt est un mot ou un élément de mot pris par le français à une langue étrangère ou bien à une minorité nationale habitant la France (breton, basque, flamand). Il est un élément étranger introduit dans le système linguistique du français.
L'emprunt le plus fréquent et le plus apparent est celui d'un mot étranger.
Mais les langues s'approprient aussi des traits morphologiques, des significations, parfois des tours syntaxiques. Les langues empruntent aussi les unes aux autres, la forme interne de mots. Ce type d'emprunt est appelé calque. Le composé français bas-bleuest modelé sur l'anglais blue-stocking.
De préférence, l'emprunt se fait à la langue d'un peuple qui, à une époque donnée, exerce une grande influence économique, politique et culturelle sur les autres peuples. Ainsi, la plus grande affluence des mots italiens date du XVIe et du XVIIIe siècles, l'Italie ayant devancé la France dans plusieurs domaines des sciences, des arts et.de l'économie. La plupart des anglicismes ont pénétré dans la langue française au cours du XVIIIe et XIXe siècles, «époque où l'Angleterre a acquis un grand prestige dans l'arène mondiale».
L'emprunt reflète le lien étroit qui existe entre la langue et l'histoire du peuple, créateur de cette langue. Le français emprunte des mots aux langues étrangères à toutes les époques de son histoire. On peut relever les emprunts à la langue latine et aux autres langues qui datent des IXe—XVe siècles. Le français moderne ne cesse de puiser des mots nouveaux dans le vocabulaire des autres langues.
L'emprunt peut être direct et indirect selon qu'il se fait directement d'une langue étrangère ou par l'intermédiaire d'une autre langue. Par exemple, le mot hussard est venu du hongrois par l'allemand.
Les emprunts au latin
L'emprunt à la langue latine a commencé à l'époque de la formation du français en tant que langue nationale et continue jusqu'à nos jours. On relève les mots empruntés au latin au cours du Moyen Âge (IXe—XVe siècles).
Ce sont, par exemple, les mots avarice, charité, méditation, nature, passion, patience, vérité, fraternité, culpabilité.
Généralement, les emprunts au latin pénètrent dans la langue française par les œuvres des classiques latins traduites en français. Encore de nos jours le latin sert au français de source d’enrichissement. Le lexique spécial, la terminologie technique et scientifique puisent des mots nouveaux dans la langue latine. Par exemple, termes de chimie: uranium,sélénium;termes de médecine: virus, sérum; termes de jurisprudence: persona grata, desiderata, etc.
Le français connaît un nombre assez considérable d'emprunts faits directement au grec. La plupart de ces mots sont des termes spéciaux. Au XVIe siècle le français emprunte des mots tels creathée, enthousiaste, philantrope, mélodie, amphibie, bibliophile, archipel, hygiène, larynx, symptôme, cosmographie, agronome, oligarchie.
Les deux langues de l'antiquité ont considérablement influencé le vocabulaire du français.
Par tradition on appelle «savants» les mots et les éléments empruntés aux langues anciennes (le latin et le grec) par opposition à ceux qui sont venus par la voie populaire, c'est-à-dire directement du latin populaire. Ce terme est tout conventionnel dans le français moderne, puisque plusieurs emprunts aux langues mortes sortent des limites de la «langue savante», des terminologies spéciales. On les emploie largement dans la langue commune. Tels sont les anciens emprunts: agricole, satisfaire — de même que des créations plus récentes.
Les emprunts à l'arabe
Une des premières sources d'emprunts était aussi l'arabe, langue d'une culture très ancienne et très haute.
L'épanouissement des mathématiques et de l'astronomie arabes a fourni au français par l'intermédiaire du latin classique, les termes tels que algèbre, chiffre (dont la première acception en arabe était 'zéro'), azimut, zénith.
Les emprunts aux langues romanes
Dans le français d'aujourd'hui on peut relever un nombre consi dérable d'emprunts aux langues romanes.
L'emprunt à l'italien en est une bonne illustration. L'influence de l'italien sur le français se fait sentir surtout au XVIe siècle. Comme le dit F. Brunot «au XVIe siècle l'Italie domine intellectuellement le monde; elle le charme, l'attire, l'instruit, elle est l'éducatrice. N'y eût-il eu ni guerres d'Italie, ni contact avec les populations d'au-delà des Alpes, ni mariages italiens à la cour de France, que l'ascendant de l'art, de la science, de la civilisation italienne se fût néanmoins imposé».
Les mots d'origine italienne appartenant à la vie de tous les jours constituent un groupe assez nombreux. On y voit des termes se rapportant à l'habitation et au mobilier, aux vêtements et aux objets de toilette, aux jeux et aux amusements, des termes servant à exprimer des qualités physiques ou bien des qualités d'esprit, de cœur, de caractère. On peut donc citer comme exemple des substantifs: appartement, cabinet, cadre, lampion, strapontin, baraque, carrosse, camisole, capuchon, parasol, soutane, raquette, botte, parer.
L'apport espagnol a donné au français près de trois cents mots. A le comparer au nombre de mots français tirés de l'italien qui atteint environ un millier, on voit que l'influence linguistique de l'Espagne sur le vocabulaire français a été beaucoup moins considérable.
Les emprunts aux langues germaniques
Les emprunts à l'allemand sont moins nombreux que ceux venus de l'italien ou de l'anglais. Les mots empruntés à l'allemand avant le XVIe siècle sont rares, les relations politiques, économiques et culturelles entre la France et l'Allemagne étant assez restreintes.
Les emprunts à l'allemand présentent trois grands groupes:
des termes militaires; des termes scientifiques, d'ailleurs peu nombreux; de différents mots désignant des objets et des actes de la vie quotidienne: quenille, bock, chope, nouilles, vasistas, valse, trinquer, zigzag, rosse, harmonica, vermouth, ersatz, etc.
L'influence anglaise sur le français commence au XVIIe siècle, et au XVIIIe siècle le nombre de mots empruntés à l'anglais augmente considérablement. La pénétration des anglicismes se poursuit au cours des siècles suivants et continue de nos jours.
L'abondance des anglicismes dans la langue française s'explique par le développement politique et économique de l'Angleterre.
Au XVIIIe siècle le français emprunte des termes ayant rapport au système parlementaire et à la vie politique et sociale: comité, verdict, votes jury, bill, budget, quaker, congrès, session, club, de même que des termes sportifs et des mots désignant des objets de la vie quotidienne: boxe, jockey, bifteck, grog, punch, pudding, redingote. A la même époque remontent les anglicismes humour et spleen.
Au XIXe siècle l'emprunt à l'anglais se poursuit avec intensité.
Au XXe siècle l'introduction d'anglicismes continue par suite des contacts de deux guerres mondiales et à la faveur du snobisme de certaines couches sociales de France. Ce sont des mots tels que: tank, plastic, jeep, autocar, d'un côté et de l'autre côté des mots usuels comme stencil (papier paraffiné et perforé), shopping (achat), label (étiquette), building, stock (dépôt), pull-over, home (le chez soi), glasse (verre), jersej (tricot, chandail), short (culotte de sport très courte), week-end, pick-up, cocktail, etc
Les emprunts russes
C'est au XVIIIe siècle que le nombre de russicismes augmente tout en restant assez restreint. Ce sont des mots désignant des notions propres exclusivement à la vie russe: isba, tzar, ukasse, hetman, pope, touloupe, moujik, knoute, rouble, archine, verste, streletz, boïarine (plus tard — boyard), boïaré, et encore quelques termes géographiques et zoologiques: steppe, taïga, toundra. Les emprunts russes de cette époque gardent leur aspect phonique et ne s'assimilent presque pas.
L'assimilation des emprunts
Le sort des mots empruntés par le français est varié. Tandis que certains emprunts sont employés par tous les locuteurs de cette langue, d'autres «restent à la surface et ne sont en usage que dans des groupes ethniques et sociaux plus ou moins étendus».
L'assimilation des mots empruntés s'effectue d'après les lois internes de la langue emprunteuse, mais elle dépend aussi de plusieurs autres faits: de l'origine du mot emprunté, de l'époque de sa pénétration, de la sphère de son emploi, de sa forme phonique et morphologique; l'adaptation est différente selon les classes sociales.
On peut distinguer deux catégories essentielles d'emprunts selon le degré de leur assimilation:
1. Les mots faiblement assimilés et sentis comme étrangers. On les appelle «xénismes» (du grec xenos 'étranger'), ils appartiennent surtout aux langues spéciales et ne s'emploient presque pas dans la langue commune.
2. Les emprunts complètement assimilés qui ont subi des changements phonétiques et morphologiques. Ces mots sont couramment employés dans la langue commune.
Les mots empruntés subissent fréquemment une assimilation morphologique qui leur permet de fonctionner régulièrement dans le système grammatical du français.
Outre les adaptations phonétique, graphique et morphologique le mot emprunté peut subir des modifications sémantiques. Généralement, les mots sont empruntés avec un seul sens (secondaire, parfois), tandis qu'ils peuvent être polysémiques dans leur langue d'origine.
Les doublets étymologiques sont une des conséquences de l'emprunt. Il arrive souvent que deux mots français, de forme et de sens différents, remontent étymologiquement à un même mot latin.
Bibliographie
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