Travaux dirigés
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Travaux dirigés

 

Le lexique n’est pas un «tas de mots»

 

Tous les linguistes d’aujourdhui demeurent d’accord qu’il doit y avoir une organisation quelconque du lexique, et de son contenu: les significations. Tous demeurent d’accord qu’il est impossible de penser que les mots sont présents d’une manière ou de l’autre dans notre tête sous la forme d’éléments totalement isolés les uns des autres. Mais en même temps beacucoup de linguistes ont jusqu’ici répété que cette organisation des significations, même vue à travers le lexique, résiste à toute analyse exhaustive de type structural.

Ceux qui supposent toutefois que cette structure existe pensent que nous ne la percevons pas (peut-être provisoirement) pour trois raisons au moins. D’abord, à cause de «la difficulté qu’on éprouve à manipuler la réalité sémantique sans le secours d’une réalité concrète correspondante, phonique ou graphique» (Martinet); c’est-à-dire à cause de la difficulté d’analyser les signifiés saussuriens sans recourir aux signifiants linguistiques qui nous les manifestent généralement. Si l’on  analyse les signifiés au travers et au moyen de leurs signifiants, on peut espérer structurer formellement les signifiants d’un lexique, mais non la sémantique d’une langue, la totalité des significations qu’elle véhicule.

Ici paraît la deuxième raison pour laquelle une structuration des significations s’avère si difficile. Des significations quelquefois très importantes dans une civilisation donnée, peuvent ne pas être manifestées par des termes isolés. Ainsi le mot talion ou son équivalent peuvent ne pas exister pour une civilisation qui possède la notion juridique que  «si un homme, dans une querelle, casse le bras d’un autre homme, on lui cassera le bras à son tour». Pourque l’analyse lexicale recouvre exactement toute l’analyse sémantique, il faudrait que tous les concepts aient un nom particulier d’une part, et qu’ils expriment la totalité des significations liées  à une civilisation d’autre part. Ce qui n’est jamais le cas.

La troisième des raisons qui lontemps ont fait douter de la possibilité d’une structuration sémantique: l’immensité du domaine embrassé. Décrire la sémantique d’une langue, la totalité des significations qu’elle manifeste, ne serait rien de moins qu’étudier la totalité des contenus de civilisation qui s’expriment par cette langue, – et rien de moins que tenter d’en découvrir la structuration totale.

A ces trois raisons, je serais de plus en plus tenté d’en ajouter une quatrième: la structuration lexicale, celle des signifiants, et la structuration sémantique, celle des signifiés, pourraient bien ne pas être des procédures unitaires, mais des ensembles extrêmement complexes de structuration de types très différents, peut-être juxtaposées, peut-être intégrées, mais selon des règles que nous n’apercevons pas encore. Ceci expliquerait un fait que tout le monde a bien aperçu, depuis Meillet qui disait: «Au contraire de la phonétique et de la grammaire, les mots ne constituent pas un système (une structure); tout au plus forment-ils des petits groupes».

G. Mounin. Clefs pour la sémantique.

 

La métaphore

 

Derrière la plupart des locutions, on trouve une image qui en motive le sens. Formes techniques, affectives ou familières du langage, elles sont essentiellement métaphoriques; et ces métaphores prennent certaines formes, obéissent à certaines tendances qui constituent les lois de ce type d’expression; lois qui, une fois reconnues, nous permettent de retracer une évolution.

La comparaison sous sa forme la plus fruste, articulée sur l’adverbe comme, est la figure essenteille des constructions locutives. On multiplierait à l’infini les exemples et je me contenterai de donner ici une courte liste de locutions de ce type: amis comme cochons, aveugle  comme une taupe, clair comme de l’eau de roche, léger comme un éléphant, long comme un jour sans pain, muet comme une carpe, heureux comme un roi, comme un poisson dans l’eau, sage comme une image, sot comme un panier, sourd comme un pot, trempé comme une soupe, etc.

La comparaison peut aussi affecter une action verbale dans: courir comme un dératé, écrire comme un chat, mentir comme un arracheur de dents, raisonner comme une pantoufle ou un tambour crevé, etc.

La métaphore est une comparaison avec ellipse du premier terme et dans laquelle le caractère signifié se trouve implicitement inclus dans le terme signifiant: un homme lourd comme un éléphant est un éléphant.

P. Guiraud. La sémantique.

 

Evolution sémantique

La nomination sémantique ou stylistique est un acte créateur et conscient. Une fois le  mot crée, par transfert de sens ou de toute autre manière, son sens peut évoluer spontanément; en fait il évolue dans la presque totalité des cas.

Tout mot est un complexe d’associations. Il suffit que l’une se développe pour qu’elle empiètre sur le sens et finisse par l’altérer, par l’étouffer et finalement par le remplacer.

Tête est à l’origine une métaphore stylistique par association de la tête (primitiement chef) à un pot de terre (en latin testa); métaphore vulgaire à intention comique et satirique qu’on retrouve dans toutes les langues; voyez le français moderne citron, patate, cafetière, etc.

Il y a ensuite un  glissement du rapport associatif.

  • D’abord comparaison, c’est-à-dire association de deux images autonomes, la tête à côté du pot, un chef comme un pot (tête);
  • ensuite métaphore ou surimpression des deux images, la tête s’incrit  dans le pot, un chef qui est un pot;
  • puis valeur stylistique; l’image du pot s’efface et il ne reste plus que l’association vague avec quelque chose de comique et de grossier, un chef rond et fruste;
  • enfin le mot se sémantise; le reflet expressif s’obscurcit; le mot tête désigne un pure concept et remplace chef.

Ce dernier cependant survit avec une valeur socio-contextuelle; c’est un archaïsme, un mot noble; une tête «blachie sous le harnois»; tandis qu’à la gauche de tête sémantisé, poire, cassis, citron apparaissent déjà qui l’élimineront peut-être un jour.

On voit qu’il y a un déplacement à l’intérieur du carré des associations signifiantes: tête est passé de la case «valeur expressive» à la case «sens de base»; chef de «sens de base» à «valeur socio-contextuelle».

Un autre déplacement très fréquent et très naturel est celui du sens contextuel vers le sens de base, dans «frite» un des sens du mot (pommes de terre frites) a fini par éliminer les autres.

Ainsi le sens des mots résulte d’un double procès; la nomination et l’évolution spontanée des valeurs de sens; les deux phénomènes sont complémentaires et interdépendants, mais ils doivent être distingués.

P. Guiraud. Les locutions françaises.

 

Questions demandant la reflexion

 

1. A quoi consiste le paradoxe auquel est confronté le chercheur au départ des recherches sur la structuration lexicale?

2. Quels sont les trois raisons pour lesquelles la structure lexicale existe?

3. Quelle est l’hypothèse de l’auteur à propos de la structuration des signifiants et signifiés?

4. Les locutions françaises, contêinnent – elles une image qui en motive le sens?

5. Comment l’auteur, voit-il la nomination sémantique?

6. Est-il vrai que tout mot est un complexe d’associations? Provez-le!

7. Quels types de déplacements des associations signifiantes peut-on observer?

8. De quoi résulte le sens des mots?

 

Bibliographie

 

1. Guiraud, P. La sémantique. «Que sais-je?» / P.: Guiraud: – Guiraud. PUF, 1969.

2. Guiraud, P. Les locutions françaises. «Que sais-je?» / P.: Guiraud. P., PUF, 1967.

3. Mounin, G. Clefs pour la sémantique. Col.«Clefs» / G. Mounin. – P.: Seghers, 1972.

4. Lévite, Z.N. Cours de lexicologie française / Z.N. Lévite. – Minsk, 1963.