Travaux dirigés
Structures et analyses
Leproblème qui hante toute la linguistique moderne, le rapport «forme: sens» que maints linguistes voudraient réduire à la seule notion de la forme, mais sans parvenir à se délivrer de son corrélat, le sens. Que n’a-t-on pas tenté pour éviter, ignorer ou expulser le sens? On aura beau faire: cette tête de Méduse est toujours là, au centre de la langue, fascinant ceux qui la contemplent.
Forme et sens doivent se définir l’un par l’autre et ils doivent ensemble s’articuler dans toute l’étendue de langue. Leurs rapports nous paraissent impliqués dans la structure même des niveaux et dans celle des fonctions qui y répondent, que nous désignons ici comme «constituant» et «intégrant». Quand nous ramenons une unité à ses constituants, nous la ramenons à ses éléments formels… l’analyse d’une unité ne live pas automatiquement d’autres unités. Même dans l’unité la plus haute, la phrase, la dissociation en constituants ne fait apparaître qu’une structure formelle, comme il arrive chaque fois qu’un tout est fractionné en ses parties. On peut trouver quelque chose d’analogue dans l’écriture, qui nous aide à former cette représentation. Par rapport à l’unité du mot écrit, les lettres qui le composent, prises une à une, ne sont que des segments matériels, qui ne retiennent aucune portion de l’unité. Si nous composons «samedi» par l’assemblage de six cubes portant chacun une lettre, le cube M, le cube A, etc. Ne seront porteurs ni du sixième, ni d’une fraction quelconque du mot comme tel. Ainsi en opérant une analyse d’unités linguistiques, nous y isolons des constituants seulement formels.
Que faut-il pour que dans ces constituants formels nous reconnaissions, s’il y a lieu, des unités d’un niveau défini? Il faut pratiquer l’opération en sens inverse et voir si ces constituants ont fonction intégrante au niveau supérieur. Tout est là: la dissociation nous livre la constitution formelle; l’intégration nous livre des unités signifiantes. Le phonème, discriminateur, est l’intégrant, avec d’autres phonèmes, d’unités signifiantes qui le contiennent. Ces signes à leur tour vont s’inclure comme intégrants dans des unités plus hautes qui sont informées de signification. Les démarches de l’analyse vont, en directions opposées, à la rencontre ou de la forme ou du sens dans les mêmes entités linguistiques.
Nous pouvons donc formuler les définitions suivantes:
La forme d’une unité linguistique se définit comme sa capacité de se dissocier en constituants de niveau inféieur.
Le sens d’une unité linguistique se définit comme sa capacité d’integrer une unité de niveau supérieur.
Forme et sens apparaissent ainsi comme des propriétés conjointes, données nécessairement et simultanément, inséparables dans le fonctionnement de la langue. Leurs rapports mutuels se dévoilent dans la structure des niveaux linguistiques, parcourus par les opérations descendantes et ascendantes de l’analyse, et grâce à la nature articulée du langage.
E. Benveniste. Problèmes de linguistique générale.
L’étude des sens
Un sens se forme à partir des données objectives, fournies par la situation, et à partir des données linguistiques, à savoir les ensembles lexicaux déjà constitués dans lesquels s’insère tel signe nouveau…
Il faut admettre, dès le départ, qu’un mot, quel qu’il soit, avant d’être employé, avant de figurer dans un contexte quelconque, appartient à un ensemble ou à des ensembles lexicaux. C’est de cette appartenance, c’est-à-dire des relations qui l’unissent ici et là à d’autres unité, qu’il tire ses virtualités d’emploi. Lorqu’on digure la polysémie au moyen d’un schéma du type:
signifiant |
Signifié 1 Signifié 2 Signifié 3 |
On construit dans le vide des relations idéales. Il serait préférable de considérer qu’un signifiant se rencontre ici parmi d’autres signifiants (1, 2, 3, 4), là parmi d’autres signifiants (5, 6,7, 8). Dans kle premier ensemble, st s’identifie par la propriété s’exprimer quelque chose qui le distingue des autres signifiants: ainsi grève (1) se détermine-t-il par rapport à cessation de travail, pause, revendication ouvrière, lock-out, etc. Dans le second, par une propriété analogue (encore qu’incomparable) par rapport à st 5, 6, 7: ainsi en va-t-il de grève (2) par rapport à plage, sable, arène, etc.
On appelle cette propriété un trait distinctif ou démarcatif ou différentiel.
La définition des traits distinctifs requiert donc qu’on ait au préalable délimité les ensembles. Aussi bien constate-t-on que la morphologie, dans la mesure où elle est l’ébauche d’une organisation sémantique de la langue, se prête d’abord, et dans des conditions relativement simples, à ce genre de recherche. Un suffixe comme – erie en français, dans l’une ou l’autre des valeurs qu’il possède dégage le trait démarcatif majeur des dérivés que l’on forme par son moyen et dont le nombre s’accroît au fur à à mesure des besoins (cf.: le néologisme contemporain meublerie). Parmi les suffixes, certains s’associent et composent des ensembles plus larges comparables à des cadres entre lesquels se diversifie le sens d’une base.
R.-L. Wagner. Les vocabulaires français.
Signifiant, signifié, référent
Si la sémantique est la science des significations linguistiques, il reste à définir ce qu’est une signification en linguistique. Il suffit de collationner les définitions des mots signification, signifier, sens, dans les dictionnaires, pour apercevoir que longtemps la chose n’a pas été claire; et l’étude des ouvrages de sémantique actuels prouve qu’elle ne l’est pas devenue tout à fait. La sémantique, à la différence de la phonologie et de la syntaxe, n’a pas encore atteint sa majorité scientifique. Beaucoup de linguistes pensent que c’est la partie de la linguistique où l’application des principes structuralistes rencontre le plus d’obstacles, - sur la nature même desquels toute la lumière n’est pas faite.
On remarquera que le meilleur manuel actuel en France, les «Eléments de linguistique générale» de Martinet, ne consacre pas de chapitre à la sémantique. Cependant l’auteur refuse de se passer du sens dans l’analyse linguistique. Il y recourt pour décrire les phonèmes et les monèmes en vertu de l’axiome structuraliste selon lequel «une distinction est pertinente sur un plan si elle suffit à établir une distinction sur l’autre plan»: a et o sont deux phonèmes en français, parce que blanc et blond ont deux signifiés différents, distingués par la seule opposition a et o. A une distinction sur le plan des signifiants correspond une distinction sur celui des signifiés.
Ceci re vient à admettre , à la suite de Saussure, qu’un signe linguistique est une entité à deux faces. D’une part sa face signifiante, le signifiant du signe, est une forme phonique constituée elle-même d’unités phoniques successives (les phonèmes), ou non successives (l’accent, l’intonation). D’autre part la face signifiée, le signifié du signe, qu’on note généralement entre guillements de dialogue.
Pour compléter cette présentation sommaire du concept saussurien de signe, ajoutons que le signe renvoie, dans la réalité non-linguistique, à quelque chose qui n’est pas lui: Saussure l’appelle tantôt la chose, tantôt le concept. Les logiciens et les linguistes anglo-saxons l’appellent aujourd’hui volontiers le «référent» du signe, et le mot est passé tel quel en français.
G.Monin. Clefs pour la sémantique.
Questions demandant la réflexion:
- Qu’est-ce qui défini la forme du mot?
- Le sens qui est toujours présent dans le mot, à quoi est-il comparé quant à sa capacité?
- Où sont impliqués les rapports de forme et de sens?
- Que fait apparaître la dissociation en constituants?
- L’intégration des constituants que livre-t-elle?
- Comment se définissent la forme et le sens d’une unités linguistique?
- Comment se forme le sens?
- A quoi appartient un mot avant de figurer dans un contexte?
- Qu’est-ce qu’un trait distinctif d’un mot?
- Le référent, comment est-il défini par Saussure?
Bibliographie
1. Лопатникова, Н.Н. Лексикология современного французского языка / Н.Н. Лопатникова, Мовшович Н.А. – М., 1982.
2. Супрун, А.Е. Методы изучения лексики / А.Е. Супрун. – Мн., 1975.
3. Лингвистический энциклопедический словарь. – М. 1990.
4. Lévite, Z.N. Cours de lexicologie française / Z.N. Lévite. – Minsk, 1963.
5. Rastier, F. Sens et textualité / F. Rastier. – Paris, 1989.
6. Siblot, P. Nomination et production de sens / P. Siblot. – Montpellier, 1995.