Le fonds primitif. Les différenciations territoriales et sociales du lexique français
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EELe fonds primitif. Les différenciations territoriales  et sociales du lexique français

 

A. LE FONDS PRIMITIF

 

Le fonds essentiel (usuel) français comprend tous les mots d'un usage courant dans la langue qui se caractérise par sa stabilité, par son empreinte nationale fort prononcée. Outre le fonds usuel du lexique la langue française possède des couches lexicales d'un emploi plus ou moins restreint telles que terminologie spéciale, jargons de classe, jargons professionnels, parlers locaux (les patois), la majeure partie des emprunts, des mots internationaux qui ne sont pas d'un usage courant.

Le fonds usuel du lexique français a un caractère stable, national. Il comprend tous les mots du fonds héréditaire auxquels viennent s'ajouter   les   formations   nouvelles,    purement   françaises (mots formés par la dérivation propre ou «impropre» (conversion), composés, abrégés, locutions phraséologiques). Le fonds héréditaire de la langue française se compose essentiellement du latin populaire, y compris les éléments celtiques, grecs  et germaniques: alouette, bouleau, bec, balai, bouc, branche, cabane, charrue, mouton,   grève, harnais, lieue, sillon, rache, saumon, grève, tonneau, Paris,  Verdun, Nantes, Amiens, Lyon, Rouen, Argentan,

La plupart des éléments grecs sont entrées dans les dialectes romans de la Gaule par l'intermédiaire du latin populaire. Ce sont: bourse, bouteille, bocal, golfe, plat, tombe.

L'apport des langues germaniques était plus considérable. Les éléments germaniques ont pénétré à l'époque de l'invasion des Francs. Ce sont: guerre, haie, jardin, fauteuil, hache, gant, gerbe; les verbes bâtir, haïr, garder; les adjectifs blanc, bleu, brun, gris, rouge, riche, laid, frais.

Ainsi les éléments grecs, celtiques et germaniques se trouvaient déjà dans le vocabulaire du latin populaire ou dans le français à l'époque de sa formation.

Le fonds usuel du lexique français, y compris les éléments grecs, celtiques et germaniques, est constitué par des mots — racines de formation populaire tels que terre, ciel, lune, homme, femme; des dérivés et des composés à usage général: chanter, crier, travailler, parler, aller, faire, ouvrier, enfant, écolier, étudiant, pomme de terre.

Le fonds usuel du lexique français se caractérise par la stabilité et sa vitalité et ses éléments essentiels restent dans la langue durant de longs siècles depuis l'époque de la romanisation de la Gaule. Mais le fonds usuel du français d'aujourd'hui est considérablement plus riche que celui de l'ancien français.

 

B. LES DIFFÉRENCIATIONS TERRITORIALES ET SOCIALES DU LEXIQUE FRANÇAIS

 

Le français a des particularités locales. Les dialec­tes et les parlers locaux sont au serivce de toutes les classes d'une population habitant un territoire déterminé et servent sans distinction toutes lesclasses du territoire où ils sont parlés, mais ils peuvent avoir des différenciations lexicales, phoniques et grammaticales.

A l’époque de la formation de la langue nationale française des dialectes du Centre, y compris le dialecte d'Ile-de-France, ont joué le rôle prédominant. A l'époque du féodalisme on observe le morcellement linguistque conditionné par la dislocation géographique, économique et sociale de la France. Les principaux dialectes de la France féodale étaient au Nord et à l'Ouest—le francien, le breton, le normand, le picard et d'autres, au Sud et sur le Plateau Central — le provençal, le languedocien, le dauphinais, l'auvergnois, le gascon, le limousin.

Au moment de sa plus grande homogénéité, chaque dialecte a des traits qu'il partage avec les dialectes voisins.

M. Cohen fait observer avec justesse que «le double problème du français féodal littéraire est celui de l'unité dans la diversité d'abord, de l'unité tout court ensuite». Le XVe siècle marque un nouveau tournant dans l'histoire sociale et linguistique de la France. Paris devient un centre administratif, politique et social, ce qui unifie la langue des habitants de la France. La ca­pitale cherchent à unifier la langue dans le rayon de sa sphère d'activité. Les dialectes dépérissent peu à peu et passent à l'état des patois. Au point de vue politique et social, les XVe et XVIe siècles c'est l'époque de la formation de la nationalité française et de la langue nationale — l'époque des progrès continus de la royauté et de l'unification du royaume, de la montée au pouvoir de la bourgeoisie.

Le français régional et les patois.

Dans la France d'aujourd'hui les dialectes sont entièrement évincés par la langue nationale, ils sont réduits à l'état de patois (de parlers locaux). Modifié sous l'influence des dialectes, des parlers locaux dans telle ou telle région de la France, le français national porte le nom de français régional. De nos jours le français régional se rapproche de plus en plus du français de la capitale. Les patois à leur tour se rapprochent du français régional. Ils ont un caractère double, en comportant à la fois les traits du français régional et des archaïsmes. Le français régional subit habituellement l'influence de la phonétique du dialecte ambiant. Ainsi dans le Midi on fait entendre le n de chanter. Le patois comporte beaucoup de mots locaux qui désignent des objets ou des coutûmes propres à la région.

Les dialectes, les mots régionaux, les patois sont une source inépuisable d'enrichissement du lexique français.

Les différents groupes sociaux tâchent souvent d'utiliser le lexique de la langue dans leurs propres intérêts en créant des termes particuliers, des expressions particulières, en prêtant une valeur spéciale aux mots déjà existants.

En France le jargon des précieuses, créé au XVIIe siècle dans le salon de la marquise de Rambouillet présente un jargon de classe par excellence.

L'influence des classes sur le lexique se fait clairement sentir dans les définitions des termes politiques données par les lexicographes français de différentes conceptions politiques.

Les jargons de classe utilisent la grammaire et la phonétique de la langue générale, il n’y a de propre que son lexique. Il sert de moyen de communication à un groupe social très restreint— aux malfaiteurs. Pourtant le jargon des déclassés a fait et continue de faire un apport à la langue générale.

Il se sert très largement de l'emploi métaphorique des mots usuels, des euphémismes: une bonne poire (arg.) 'homme facile à duper; guillotine s'appelle  veuve,  béquille,  butte,  banc,  abbaye de monte à regret; voiture de prison — panier à salade; récidiviste — cheval de retour; pomme de terre — orange à cochons; tuer — apaiser. L'argot recourt souvent aux emprunts aux autres langues pour enrichir son vocabulaire. Le mot moukere 'femme de légère conduite', est emprunté à l'espagnol mufer 'femme', aussi que le mot mendigot 'mendiant'. De l'italien viennent les mots bazir 'tuer'.

L'argot des déclassés possède plusieurs modèles tout particuliers: les suffixes: -muche, -uche, -oche, -ache, -igot; boyaches-tu? 'bois-tu?', grenuche 'avoine', sourdoche 'lanterne', parigot, boutache 'boutique'. L'argot aime à déformer les mots de la langue usuelle ou à les remplacer: le pied — arpion ou poturon, le soleil — hure couchant, l'argent — fric, fafiot, flouze.

Les jargons de profession ne diffèrent de la langue générale que par leur vocabulaire.  L'usage des jargons professionnels est limité de même que  celui des jargons de classe. Mais ce sont des limites d'ordre professionnel et non pas social. Un homme de métier se sert de termes spéciaux durant son travail ou avec ses camarades de travail. Les jargons de profession ont généralement un caractère oral, on ne les écrit pas.

La terminologie spéciale. Les voies de son enrichissement

Chaque science a sa propre terminologie qui est appellée à refléter ses progrès. Le terme est un mot qui désigne une notion spéciale. La terminologie spéciale présente un système établi de signes qui se caractérise par sa stabilité et sa monosémie. La polysémie ne fait que nuire à la terminologie qui exige une grande exactitude et précision dans la  dénomination des notions scientifiques. Les termes ont généralement un caractère neutre, ils sont privés de valeur expressive.

De même que les jargons de profession la terminologie spéciale n'a de particulier que son lexique. Elle l'enrichit en utilisant les procédés de formation du fonds lexical usuel.

Parmi les suffixes d'adjectifs sont répandus dans la terminologie spéciale les suffixes: -ique, -al, -el, -if, -ive, -able, -ible.

-ique: électronique, neutronique, atomique, plastique, thermique, autohydrique, diphtérique, dysentérique, spasmotique;

-al, -el: radial, longitudinal, martial, argental (qui contient l'argent), arsencial, directionnel, séquentiel, fréquentiel, turbu-lentiel, impulsionnel, variationnel;

-if, -ive: abrasif, absorptif, agglomératif, corrosif, disparatif, capacitif;

-able, -ible: amalgable, cimentable, coxefiable, mouillable, gonflable, imbrouillable, orientable, modulable, fusible, amovible

Parmi les suffixes verbaux sont productifs dans la terminologie

spéciale les suffixes: -er, -ifier, -iser.

-er: caoutchouter, gommer, aciduler, broyer;

-ifier: acidifier, électrifier, typifier, rudifier, étanchifier

-iser: électriser, réaliser, sonoriser.

Un certain nombre de suffixes nominaux peu productifs ou improductifs dans la langue générale sont productifs dans la terminologie spéciale. Ainsi les suffixes d'action et de qualité -ure, -ance, -ence, -aison restent productifs de nos jours dans la terminologie spéciale.

Parmi les suffixes d'adjectifs, peu productifs dans la langue usuelle, jouit d'une grande productivité dans la terminologie le suffixe -eux: terreux, granuleux, spongieux, aqueux, comateux, cancéreux, ècrouelleux.

Les suffixes verbaux -iser et -ifier se sont spécialisés dans la terminologie: écraniser, scènariser, sonoriser, synchroniser, actualiser, atomiser, ioniser, dénucléariser, électrifier.

Le suffixe des noms concrets -ie, improductif dans le lexique usuel, forme une quantité de termes médicaux et géologiques: cholémie, diphtérie, dispepsie, êclamsie, amnésie, épilepsie.

Il existe des suffixes qui ne sont propres qu'à la terminologie spéciale. Leur nombre est assez restreint. Dans la terminologie médicale s'emploient largement les suffixes -ine, -ite, -ose, -ol:

-ine: pénicilline, insuline, streptomycine, syntomicine, tetracycline, coféine.

Au XXe siècle nombre de termes spéciaux, en élargissant leurs liens sémantiques, pénétrent dans le lexique usuel. «A l'époque contemporaine, — écrit L. Guilbert, — non seulement la vulgarisation de la pratique des sports, mais aussi la pénètration de la technique et du machinisme avec son vocabulaire dans les moindres actes de la vie des individus, quand ils se déplacent, s'alimentent, travaillent, s'abandonnent aux loisirs ou s'informent répandent dans la masse de la population des termes techniques, y compris les mots anglais empruntés».

 

Bibliographie

 

1. Лопатникова, Н.Н., Мовшович Н.А. Лексикология современного французского языка / Н.Н. Лопатникова, Н.А. Мовшович. – М., 1982

2. Супрун, А.Е. Методы изучения лексики / А.Е. Супрун. – Мн., 1975.

3. Лингвистический энциклопедический словарь. – М., 1990.

4. Lévite, Z.N. Cours de lexicologie française / Z.N. Lévite. – Minsk, 1963.

5. Sauvageot, A. Portrait du vocabulaire français / A. Sauvageot. – P., 1992.

6. Wagner, R.-L. Les vocabulaires français / R.-L. Wagner. – P., 1970.