LE FRANCAIS DU XVIe s.: CHANGEMENTS PHONETIQUES ET GRAMMATICAUX
L’objectif d’étude
Apprendre les particularités phonétiques et grammaticaux du français du XVI s.
Donnez la définition des termes suivants:
Une diphtongue, l’enchaînement, la liaison, l’accent de groupe, l’hiatus, la palatalisation, une désinence (= une flexion), un radical, un pronom conjoint
L’apprenant doit savoir:
Les principaux changements paradigmatiques et syntagmatiques des voyelles
Les principaux changements paradigmatiques et syntagmatiques des consonnes
L’apprenant doit savoir faire:
Expliquer les causes des transformations survenues en LV
Expliquez les phénomènes qui ont donné naissance à l’enchaînement et la liaison
Le plan
I. Les changements phonétiques.
1. L’accentuation.
2. Les changements des voyelles.
3. Les changements des consonnes.
II. Les changements morphologiques.
1. Le substantif. L’adjectif.
2. L’article.
3. Les pronoms.
4. Le verbe.
III. La syntaxe du français du XVI s.
I. Les changements phonétiques.
Pour la première fois dans son histoire le français se voit fourni au XVI e s. de beaucoup d’observations des contemporains sur la prononciation de l’époque.
Ce sont en premier lieu les descriptions du français à l’usage des étrangers tel le livre L’Esclarcissement de la langue françoyse, composé par maistre Jehan Palsgrave, Angloys (1530); la prononciation des Parisiens cultivés est décrite dans le Dictionnaire des rimes françoises de Lanoue (1596), etc.
Plusieurs processus phonétiques commencés aux siècles précédents continuent ou bien touchent à leur fin au XVI e s.
1. L’accentuation.
L’accent de groupe se fixe définitivement au XVI e s. ce qui consolide les groupes de mots au point d’en faire une unité phonique dont les éléments s’appuient les uns sur les autres: cf. car il en est heure [car ri len nes teure]. L’accent de groupe fait naître l’enchaînement qui contribue à l’unité phonétique de l’ensemble, parce que toute voyelle finale prend appui sur la voyelle initiale du mot suivant: sur_un banc.
Les consonnes finales tendent à s’amuïr devant une autre consonne; il s’ensuit qu’un même mot reçoit deux (et même parfois trois) formes phoniques suivant le contexte: sans amis [sãzami] / sans moi [sãmwa]. Cette alternance d’une consonne avec le son zéro [sãz] / [sã] constitue un phénomène particulier et porte le nom de liaison. Il s’agit de la prononciation occasionnelle d’une consonne, muette par ailleurs, à la fin d’un mot devant un autre mot commençant par une voyelle. Nous retrouvons les traces des anciennes alternances dans le français de nos jours, par ex., six hommes, ils sont six, six femmes: [siz / sis / si].
2. Les changements des voyelles.
Les changements paradigmatiques
A. La monophtongaison.
Au XVI e s. s’achève la monophtongaison de la diphtongue au qui subsiste en moyen français, elle se réduit en o fermé: autre [aotrз > otrз].
La seule diphtongue qui persiste jusqu’au XVII e s. est la diphtongue [eo] < [eau].
B. La nasalisation.
Vers le XVI e s. il se constitue une série de phonèmes représentée par les voyelles nasales. Ainsi à la fin du siècle le vocalisme français comprend-il quatre voyelles nasales: [ã], [õ], [ẽ], [õẽ]. Mais la prononciation actuelle des voyelles nasales ne s’est implantée définitivement qu’au début du XVII e s.
La nasalité acquiert désormais le caractère phonologique permettant de distinguer les formes grammaticales du mot: bon [bõ] / bonne [bon], ou bien différencier les mots: camp [kã] / cas / [ka]. La nasalité devient donc au même titre que la labialisation et l’aperture un trait pertinent du phonétisme français.
C. La loi de position.
L’opposition «voyelle ouverte / voyelle fermée» qui a été étymologique en ancien et en moyen français (rappelons que de règle générale une voyelle ouverte française < une voyelle brève latine, une voyelle fermée française < une voyelle longue latine) subit une modification importante. Le timbre (ouvert ou fermé) se ressent de plus en plus de la position de la voyelle dans la chaîne parlée (syllabe ouverte ou fermée), et non pas de son origine. Ainsi, au XVI e s. e fermé s’ouvre dans les terminaisons -er, -el, -ef quand les consonnes finales sont articulées, donc, dans les syllabes fermées. Le même passage s’effectue dans les toutes les syllabes fermées: vert [ver] (< viride) > [vεr].
En plus, certaines consonnes excercent l’action ouvrante (r) ou fermante (z, v) sur le timbre de la voyelle qui les précède: dernier [darnie].
Ainsi le timbre de la voyelle dépend-il désormais non seulement de son origine (=étymologie) ou bien des consonnes qui la suivent, mais aussi et surtout du caractère de la syllabe (syllabe ouverte / syllabe fermée). C’est la loi de position qui se constituera plus tard au XVII e s., tandis qu’au XVI e s. elle fait ses premiers pas et connaît donc des flottements: par ex., dans le mot vert tantôt on prononce [e], parce que [ver] < viride, tantôt [ε]: [vεr]. Cette hésitation est due, en grande partie, au fait que l’e final quoique affaibli ne tombe pas encore définitivement, soit ouvrant, soit fermant la syllabe précédente.
Les changements syntagmatiques
A. La chute des voyelles en hiatus.
La voyelle a s’amuït devant toute voyelle: saoul [saul] > saul [sul].
La disparition de e en hiatus, commencé au XIV e s., devient fréquente au XVI e s. Les graphies seur (sûr), gehenne (gêne) sont archaïques et ne notent qu’une seule syllabe, comme aujourd’hui Jean.
B. L’allongement des voyelles finales.
L’allongement des voyelles finales survenu à la suite de la chute de e après voyelle et consonnes finales, en particulier, -s marquant le pluriel, s’accentue au XVI e s., opposant le féminin à voyelle longue au masculin à voyelle brève, le pluriel au singulier dans les adjectifs, les participes et substantifs: connu [kony] / connue [kony:], ami [ami] / amie [ami:], ami [ami] / amis [ami:], etc.
Les modifications syntagmatiques d’origine sociale ou dialectale
Les modifications syntagmatiques mettent en évidence une nouvelle différenciation d’ordre social qui se manifeste: entre la prononciation populaire des classes inférieures et la prononciation dite littéraire des classes supérieures.
Le XVI e s. est la période de l’épuration linguistique, des efforts normalisants et réglementaires entrepris par les grammairiens, poètes et écrivains de l’époque. Ces derniers commencent à réagir contre les nouvelles tendances survenues dans la prononciation populaire tout en maintenant les formes traditionnelles. Mais il y a eu des cas où les gens lettrés n’ont pas réussi à étouffer les tendances survenues dans la prononciation populaire. Certains changements amorcés dans la prononciation populaire atteignent les larges milieux de la capitale s’y étant imposée (par ex., [wε > wa]) et commencent à faire autorité en province.
A. L’ouverture de [e] devant [r].
La voyelle e devient plus ouverte: e(r) > a(r). Ce phénomène s’explique par le passage de r alvéolaire (apical, dental) à r uvulaire (dorsal, vélaire), c’est-à-dire à l’r parisien d’aujourd’hui. La prononciation très ouverte de e a été tenue pour vulgaire par les savants et par les milieux cultivés qui, influencés d’allieurs par l’orthographe, se sont opposés à ce développement, et, chose curieuse, ont réussi à le contrarier. Quoique condamnés par les grammairiens, les formes en ar s’emploient couramment aux XVI – XVII ss., surtout par les gens du peuple (chez Molière: aparçu, etc.) Certains passages (par ex., boulevert > boulevart, lerme > larme, merc > marque, etc.) sont consacrés par l’usage. Mais dans nombre de mots cette prononciation n’a laissé aucune trace.
La réaction contre la tendance à l’ouverture jugée populaire faisait dire la «bonne société» meri (au lieu de mari), Peris (< Paris), bizerre (< bizarre) etc., mais cette prononciation n’a pas été adoptée par l’usage. Néanmoins, la langue d’aujourd’hui connaît quelques mots qui ont gardé la nouvelle prononciation transformée: gerbe < jarbe (AF) < garba (germ.), chair < charne (AF) < carne, etc.
B. L’ouverture de [y] à [œ].
Une tendance à l’ouverture, causée par la consonne r, mais cette fois-ci d’origine dialectale, s’observe pour [y] qui passe à [œ]. Cette prononciation est attestée en Bourgogne, en Normandie, en Picardie et en Gascogne depuis le moyen français. Elle pénètre dans la langue littéraire au XVI e s. A partir de Malherbe, cette prononciation sera condamnée comme «gasconisme» ou «normandisme». On trouve cependant dans la langue littéraire des traces de ce dialectisme: beurre < burre (AF), heurter < hurter (AF). Par contre, dans le Nord il y avait une tendance à prononcer [y] au lieu de [œ]: mûre < meure (AF), flûte < fleute (AF), prud’homme < preud’homme (AF), fur (dans au fur et à mesure) < feur (AF).
C. La fermeture de [o].
Une autre tendance touche o accentué: en syllabe fermée, devant z, v, vr, devant s affaibli et o protonique, la voyelle o accentuée est prononcée d’une façon très fermée: chose > chouse, sanglot > sanglout, etc. Longtemps il y a eu hésitation entre la prononciation u et o: coste ([kote]) et couste ([kyte]), etc. Les partisans de la prononciation ou sont appelés les «ouïstes», ceux qui s’opposaient à cette prononciation – les «non-ouïstes». Par suite, de ces hésitations la langue littéraire a adopté colonne, fromage, portrait, etc.
D. L’évolution de l’ancienne diphtongue oi.
[wa] d’origine populaire, considéré d’abord comme «très vulgaire», a été combattu par les grammairiens du XVI e s. Ce n’est qu’au XVIII e s. que les grammairiens commencent à tolérer [wa] dans les monosyllabes comme bois, toi, mais ils réussissent à maintenir la prononciation [wε] jusqu’à la Révolution.
Au XVI e s. beaucoup de mots hésitent entre la prononciation diphtonguée [wε] et la prononciation monophtonguée [ε] de l’ancienne diphtongue oi.
Les formes en [ε] sont considérées comme plus familières que celles en [wε].
3. Les changements des consonnes.
Les changements paradigmatiques
A. Le h aspiré.
Au XVI e s. il existe encore dans la langue française la consonne germanique h aspiré, adopté dans la prononciation des Gallo-Romains vers le V e s. Dès le début il a été probablement prononcé moins énergiquement que le son germanique correspondant, mais au XVI e s. une véritable aspiration existe encore. C’est pourquoi les mots d’origine germanique n’admettent pas la liaison.
B. La palatalisation.
Au XVI e s. commence la seconde palatalisation qui dure jusqu’à nos jours (la première s’est produite à l’époque gallo-romane). Contrairement à la première palatalisation, elle n’exerce aucune influence sur la formation du système phonologique, n’allant au-delà des variantes dialectales et de l’argot.
La prononciation de l mouillé semble avoir été ébranlée dès le XVI e s., quand [l] > [j]. Néanmoins encore à cette époque on voit les mots en -ille (avec l mouillé = [l]) rimer avec les mots en -ille (avec l simple): gentille / ville, famille / mille, etc. La prononciation en j, quoique combattue par les grammairiens, réalise des progrès rapides.
Les changements syntagmatiques
La tendance principale qui agit à toutes les époques de l’évolution du français c’est l’amuïssement des consonnes finales. A partir du gallo-roman et durant l’ancien français les consonnes finales tendent à disparaître. Le moyen français n’y fait pas exception, la plupart des consonnes finales s’étant amuïes définitivement vers la fin du XVI e s., ce qui affermit la syllabe ouverte en tant que syllabe type du français.
Cette évolution a raccourci le mot et a donné naissance à plusieurs homonymes: sens / sang, mes / mer, chef / chez, etc.
Cependant cette tendance à la syllabe ouverte est contrecarrée par l’apparition des groupes consonantiques à l’intérieur des mots empruntés: ad-me-ttre, doc-tri-ne, etc. Cela se passe surtout au moyen français quand le français emprunte beaucoup de vocables latins. En plus, au XVI e s. les grammairiens s’opposent à la perte des consonnes finales et tâchent de les maintenir dans la prononciation.
A. La chute du r final.
Une des premières à disparaître en finale absolue est la sonante r. Aux XVI e – XVII e ss. son amuïssement prend une très grande extension – on dit couramment forme(r), fini(r), menteu(r), blanchisseu(r). Cette tendance ne rencontre cependant pas d’approbation ni parmi les grammairiens de l’époque qui veulent maintenir la prononciation du r final, ni parmi les poètes qui font souvent rimer les infinitifs en -er avec mer, air, etc.
Par la suite, grâce aux efforts des théoriciens, r a été peu à peu restituée (voir les XVII e – XVIII e ss.), notamment dans les verbes du IIe et du III e groupes.
La chute du r final a eu des conséquences morphologiques, notamment, pour la formation du féminin. Sur le modèle du suffixe masculin -eur [ø] est formé le féminin en -euse au lieu de -eresse: chanteur – (chanteresse) – chanteuse. Les nouvelles formes du féminin en -euse ont été refaites d’après le suffixe -eux, -euse (heureux / heureuse), ce qui n’est devenu possible que grâce à l’omission du r final dans -eur qui s’est confondu avec -eux dans la prononciation.
B. La chute du -s final.
L’amuïssement de -s est d’abord suivi de l’allongement de la voyelle précédente: lac / lâcs ([lak] / [la:k]), etc. Dans la langue littéraire cet allongement persiste jusqu’au XVIII e s., et certains dialectes gardent cet indice original du pluriel jusqu’à nos jours.
Les aboutissements morphologiques de la chute de la consonne finale -s sont très importants.
D’abord, pour le verbe: la plupart des formes verbales du singulier ne se distinguent plus dans la prononciation:
je parle [parl] = tu parles [parl] = il parle [parl];
je parlais [parlε] = tu parlais [parlε] = il parlait [parlε];
je finis [fini] = tu finis [fini] = il finit [fini];
je sors [sor] = tu sors [sor] = il sort [sor]; etc.
Pour ne pas confondre la personne de la forme verbale l’emploi du pronom personnel sujet devient obligatoire et donc régulier.
Deuxièmement, pour les substantifs: la catégorie du nombre n’est plus exprimée à l’oral: arbre [arbr] = arbres [arbr]. Pour d’éviter cette confusion la langue a recours à deux procédés:
– l’article: la table / les tables;
– la liaison: l’arbre [larbr] / les arbres [lezarbr].
II. Les changements morphologiques.
La tendance à l’analyse et à la régularisation continue à être prépondérante au XVI e s. bien qu’on observe la coexistence de plusieurs formes et valeurs différentes (anciennes – synthétiques, souvent irrégulières, et modernes – analytiques et normalisées = régulières).
1. Le substantif. L’adjectif.
La catégorie du nombre
Au XVI e s. l’expression de la pluralité s’est stabilisée; de règle général, c’est le -s final qui marque le pluriel. Mais étant donné que le -s final s’amuît progressivement, on considère que c’est à partir du XVI e s. qu’à l’oral le français n’a pas de pluriel flexionnel.
Devenu signe du pluriel, -s s’introduit dans les noms aux pluriels particuliers. C’est ainsi que malgré la position plus ou moins stable des formes en -al, -ail / -aux, on voit apparaître des formes analogiques en -als: canal / canals; bocal / bocals; bail / bails, etc.
La catégorie du genre
La flexion -e se répand pour marquer le féminin et atteint les noms et les adjectifs en -al, -el: libéral / libérale, et ceux en -c: turc / turque. Il est à noter que la tendance à considérer -e comme la marque du féminin est si forte qu’on le supprime même dans les adjectifs et les noms du masculin à terminaison invariable: fidele (féminin) > fidel (masculin).
Au XVI e s. le -e final s’efface peu à peu et ne se prononce plus. L’amuïssement de -e est d’ordre phonétique, mais il est renforcé par une cause d’ordre grammatical: la langue tendant à l’analyse élimine tout morphème postposé au noyau lexical, c.-à-d., la flexion, pour transférer la marque grammaticale (article) en préposition au nom. Ainsi, l’article est-il devenu la marque grammaticale analytique exprimant la catégorie du genre: le / la, un / une. Les deux processus – phonétique et grammatical – ont contribué à la déchéance progressive de la flexion du féminin, le -e du féminin n’étant plus qu’un signe graphique. Désormais la catégorie du genre s’exprime au moyen de l’accord syntaxique par excellence: Car vostre parfaicte biauté et vostre fine douceur … .
Les degrés de comparaison de l’adjectif
Les constructions analytiques deviennent communes pour marquer le comparatif et le superlatif de l’adjectif. Au XVI e s. apparaît le suffixe du superlatif -issime, emprunté à l’italien: perfectissime, doctissime, etc.
2. L’article.
Depuis l’ancien français la forme analytique du nom doublait quoique d’une façon irrégulière les fonctions de la forme synthétique (= à flexion).
On trouve les premières descriptions de l’article dans les grammaires de l’époque. L. Meigret définit l’article comme une partie du discours, J. Dubois l’étudie dans la classe des noms.
La valeur de la détermination / l’indétermination se précise au XVI e s. bien qu’elle ne soit pas encore définitivement constituée. Le nombre de classes de mots accompagnées de l’article defini augmente: il commence à s’employer devant les noms abstraits ce qui lui confère la valeur généralisante marquée par l’article zéro en ancien français.
L’article indéfini n’a pas encore stabilisé sa valeur d’individualisation ni de généralisation. Les noms précédés d’un adjectif sont marqués tantôt par l’article indéfini tantôt par l’article zéro, les proverbes en tant que formules figées en gardent les traces jusqu’à nos jours: Petite pluie abat grand vend. Au XVI e s. disparaissent définitivement uns et unes, remplacées par des.
A la même époque la formule partitive devient un article partitif. Toutefois, l’alternance «article partitif / article zéro» n’est pas rare.
3. Les pronoms.
L’usage des pronoms personnels sujets s’impose de plus en plus bien que leur absence ne soit pas rare ce qui est justifié par la flexion verbale encore en vigueur.
Le pronom sujet s’introduit progressivement dans les formes impersonnelles quoique son emploi n’y soit pas encore de rigueur: fault (= il faut), y avait (= il y avait).
Le pronom sujet à l’impératif disparaît au XVI e s. (en AF: Merci ! Ne m’ocirre tu pas.)
A mesure que les formes de pronoms sujets je, tu, il deviennent une dépendance du verbe, elles perdent la possibilité d’être autonomes syntaxiquement. On aura recours en pareil cas aux formes dites fortes (formes toniques moi, toi, lui). Ainsi, la formule Je, soussigné … fait figure de locution relevant de l’ancienne syntaxe.
La spécialisation de deux classes des possessifs et des démonstratifs en adjectifs et en pronoms continue à progresser.
Dans la classe des possessifs les formes atones généralisent l’emploi adjectival devant le nom. Les formes toniques se réservant la fonction pronominale, peuvent s’employer aussi comme adjectifs. Si les formes toniques se rencontrent encore accompagnées d’un article ou d’un adjectif (un sien tel enfant), l’usage fréquent en ancien français, ce n’est plus le cas des formes atones dont l’usage avec un nom précédé d’un article ou d’un démonstratif est exceptionnel.
Les pronoms possessifs sont employés avec l’article défini sur le modèle de la forme régulière le mien.
Le démonstratif a perdu quantité de ses formes en moyen français dont cist, cil, cel et cestu. Vers la fin du siècle les deux fonctions, adjectivale et pronominale, se trouvent déjà réparties entre deux séries de formes: d’une part, cet, cette / ces, et d’autre part, celui, celle / ceux, celles, (ce, cela, ceci).
Le pronom démonstratif neutre ce s’emploie comme tonique et atone: Pour ce le maitre d’hôtel … le baillait à l’un des officiers.
Finalement, la spécialisation de deux classes des possessifs et des démonstratifs a abouti à la formation de deux parties du discours, les formes accentuées s’étant transformées en pronoms (possessifs et démonstratifs), les formes inaccentuées – en adjectifs (possessifs et démonstratifs).
4. Le verbe.
Les formes personnelles
L’unification des désinences
La tendance à l’unification des désinences verbales reste très forte et s’effectue par deux voies suivant qu’il s’agit de la langue écrite ou parlée.
A. Dans la langue écrite (donc, dans la graphie, et non dans la prononciation) la flexion -e s’implante dans les verbes au thème vocalique à la 1 re personne du présent de l’indicatif: je pri > je prie.
La flexion -s s’impose à la 1re personne du présent de l’indicatif des verbes du 2 e groupe (fini > je finis) et du passé simple au 3 e groupe (vin > je vins). Mais l’emploi de ces deux flexions verbales n’est pas encore stable et régulier.
Les flottements sont notés aussi dans l’emploi des désinences -ions, -iez du pluriel au présent du subjonctif qui alternent avec les anciennes formes -ons, -ez.
A l’imparfait le -s analogique apparaît à la 1re personne du singulier de l’imparfait et du conditionnel, mais son emploi est encore flottant.
je tenoi → ® |
je tenois |
tu tenoi s↑ |
tu tenois |
il tenoit |
il tenoit |
B. Quant à la langue parlée, celle-ci tend également à niveler les formes, mais elle y arrive en supprimant toute désinence à la suite de l’amuïssement des voyelles et des consonnes finales.
A titre d’exemple considérons les formes du présent, de l’imparfait et du passé simple de l’indicatif. Du fait que le -t final s’est amuï dès le XII e s., tandis que le -s flexionnel ne se prononce plus à partir du XVI e s., toutes les trois désinences du singulier ne se distinguent plus quant à l’oral:
Présent |
Imparfait |
Passé simple |
je dors [dor] |
dormais [dormε] |
dormis [dormi] |
tu dors [dor] |
dormais [dormε] |
dormis [dormi] |
il dort [dor] |
dormait [dormε] |
dormit [dormi] |
Etant donné que l’aspect phonétique des trois formes verbales coïncide, l’emploi des pronoms personnels conjoints (= pronoms sujets) devient obligatoire.
Au futur simple plusieurs formes cessent de se distinguer.
Au XVI e s., vu l’amuïssement des -s et -t finals les formes de la 2 e et de la 3 e personnes du singulier, aussi bien que celles de la 1re et de la 3 e personnes du pluriel coïncident:
(tu) parleras [parlэra] = (il) parlera [parlэra]
(nous) parlerons [parlэrõ] = (ils) parleront [parlэrõ]
La coïncidence des formes verbales contribue à renforcer la tendance à l’emploi obligatoire des pronoms personnels pour marquer la personne de la forme verbale. Ainsi, le verbe suit-il la même tendance que l’on observe dans la classe des substantifs: l’article (le determinatif) précède le nom (le déterminé). Les catégotires grammaticales sont donc exprimées par une marque préposée (l’article – pour les noms, le pronom personnel – pour les verbes), à la différence de l’ancien français où cette marque était postposée. C’est l’ordre des mots direct qui s’impose et qui caractérisera le français moderne.
Les flexions ne sont désormais que de simples signes graphiques, les catégories grammaticales de la personne et du nombre sont rendues par le pronom personnel sujet dont l’emploi devient régulier et obligatoire. Il s’agit de la grammaticalisation des pronoms personnels parce qu’ils sont désormais les équivalents des anciennes flexions. Par contre, les formes verbales qui ont gardé les flexions non seulement dans la graphie, mais aussi dans la prononciation (le passé simple des verbes du 1 er groupe, les temps composés, les 1re et 2 e personnes du pluriel) sont employées très souvent sans pronom sujet.
L’unification des radicaux
La langue continue à éliminer les restes des alternances des radicaux qui ne sont vivantes que dans les verbes du 3 e groupe où elles remplissent la fonction de flexion intérieure pour opposer certains temps et modes: je vins / je vienne, etc.
L’analogie joue un rôle considérable dans la régularisation des formes verbales. Mais les lois d’analogie agissent avec moins d’intensité dans les dialectes que dans la langue littéraire. Il s’ensuit que la dialectologie et la linguistique géographique fournissent des renseignements objectifs et précieux pour l’histoire de la langue.
La régularisation de l’emploi des verbes auxiliaires
Les temps composés se sont constitués dans tous les modes. Mais le choix des auxiliaires avoir et être ne s’est pas encore stabilisé, n’est donc pas rigoureuse, tout comme en ancien ou en moyen français, où quantité de verbes se conjugaient tantôt avec l’auxiliaire avoir, tantôt avec l’auxiliaire être. par ex., la forme j’ai sorti dans la rue n’est pas rare.
Les formes non personnelles
Au cours du XVI e s. les infinitifs continuent à passer d’un groupe à un autre.
Les verbes du 3 e groupe en -re se transforment à des infinitifs en -ir et vice versa: conquerre > conquérir, cousir > coudre. Plusieurs verbes dont les infinitifs se termient aujourd’hui en -er étaient en -ir au XVI e s. et se conjugaient comme finir: abhorrir, aveglir, fanir, sangloutir, etc.
Le gérondif et le participe présent sont sujets à confusion depuis le XV e s. vu l’emploi irrégulier de la particule en devant le gérondif et l’absence fréquente de l’accord du participe présent qui, néanmoins, tend à prendre le -e du féminin et le -s du pluriel tout comme adjectif.
Les modes et les temps. Les valeurs et les emplois.
Il n’y a pas de changements considérables par rapport aux siècles précédents, certaines tendances continuent à se développer, se préciser et, parfois, s’accentuer.
Les formes verbales composées sont utilisées pour exprimer l’antériorité et surtout l’achèvement de l’action (valeur aspectuelle).
Ce n’est qu’au XVI e s. que le futur immédiat commence à faire son apparition, bien que la construction Aller + infinitif soit courante dès le XIV s. Comme les autres constructions analytiques, il semble être né dans la langue parlée. De nos jours et dans la langue parlée, les formes du futur proche tendent à évincer le futur flexionnel, ce qui souligne une fois de plus la propension du français à l’analyse.
Bien que les règles de la concordance des temps ne soient pas toujours observées, certains écrivains les appliquent avec de plus en plus de rigueur.
Le subjonctif
A cette époque on trouve encore les flottements dans l’emploi des formes: que Dieu benie et que Dieu bénisse; Nous sortons et nous sortissons.
L’usage du subjonctif connaît certaines restrictions.
C’est ainsi que l’indicatif s’introduit après les verbes croire et penser quand le doute n’est pas accentué ni par l’interrogation, ni par la négation.
Les verbes exprimant le sentiment (regret, étonnement, douleur, etc.) n’exigent pas encore un subjonctif dans la subordonnée. En revanche, le subjonctif s’emploie dans la proposition simple pour exprimer le sentiment (sans être précédé de la particule que): Je puisse mourir de male mort.
Dans les phrases hypothétiques, qui marquent le potentiel, le subjonctif est déjà supplanté par l’imparfait et le conditionnel présent: si + imparfait de l’indicatif – conditionnel présent. On observe l’emploi très fréquent du plus-que-parfait du subjonctif dans les phrases qui désignent l’irréel: si + P-que-P du subj. – P-que-P du subj.: S’il eût voulu, il l’eût bien fait. Cet usage du subjonctif s’est conservé jusqu’à nos jours.
III. La syntaxe.
Au XVI e s. les tendances analytiques, propres au système de la langue française, se précisent et s’accentuent.
La tendance croissante à l’ordre direct des mots se déssine nettement. Toutefois les propositions telles que: de cheval donné toujours regardoit en la gueule (=il regardait toujours dans la gueule du cheval donné) ne sont pas rares.
L’ordre direct des mots s’emploie même dans les propositions interrogatives, surtout grâce à la locution est-ce que qui (est-ce que que) qui se répand largement dans la question, dans le langage parlé en premier lieu.
L’inversion est limitée par des règles à quelques cas: interrogation, incise, proposition introduite par un circonstanciel. Au XVI e s. la consonne -t- s’introduit régulièrement entre le verbe du 1er groupe et le pronom il dans la forme interrogative sur le modèle des verbes du 2 e et du 3 e groupe: aime-t-il ?
Tout en se rapprochant dans la proposition, l’auxiliaire et le participe jouissent d’une certaine liberté, ils peuvent se trouver à distance l’un de l’autre et renfermer de la sorte différents éléments de la phrase: Ont d’avirons ja couvertes les eaux … (Ronsard).
Les règles sur l’accord du participe passé avec le complément datent du XVI e s. A l’époque de l’ancien et du moyen français la langue hésite encore entre la tradition latine d’accorder le participe passé avec le complément direct et les nouvelles tendances qui font le participe presque invariable. Sous l’influence des grammairiens, l’évolution s’arrête à mi-chemin et vers le XVI e s. la règle devient plus ou moins stable: on ne fait l’accord que si le complément précède le verbe. Pourtant cette règle, qui est artificielle et manque de logique, est souvent violée.
Pour des raisons stylistiques, ainsi que sous l’influence des traductions du latin et du grec les œuvres de l’époque abondent en tours archaïsants où l’ordre des mots est relativement libre.
De même, ce qui est spécifique pour le discours indirect au XVI e s. c’est l’usage des tours infinitif qui remontent aux constructions latines «Accusativus cum infinitivo» et «Nominativus cum infinitivo»: disans la querelle être fondée sur un pied de mouche. Le participe absolu fait fureur au XVI e s. Les écrivains utilisent volontiers le passif imitant le latin, tandis que le langage populaire préfère l’actif. Les verbes pronominaux font fortune au XVI e s.
A l’époque la subordination prend nettement le dessus sur la coordination.
La phrase du XVI e s. est très compliquée; le besoin de précision amène la formation des conjonctions composées, souvent synonymiques, formées à partir de que.
Les tours périphrastiques à valeur aspectuelle vieillissent et sont remplacées par des constructions avec les verbes marquant le commencement ou l’achèvement de l’action: il se met à …, etc. Toutefois, les écrivains emploient fréquemment les constructions archaïques aller + gérondif: on préfère il s’en va tout mourant à il se meurt, trouvant la première proposition plus belle.
Questions
I. 1. Quels sont les processus phonétiques qui s’achèvent au XVI s. ?
Quels sont les processus phonétiques qui continuent d’évoluer au XVI s. ?
La liaison et l’enchaînement sont-ils conditionnés par le type d’accentuation? Comment?
2. Quels sont les principaux changements vocaliques de l’époque?
Quels sont les principaux changements consonantiques de l’époque?
Quelle est la portée morphologique de l’allongement des voyelles finales?
* Pourquoi ce n’est qu’au XVIe s. qu’on atteste l’apparition des modifications syntagmatiques d’ordre social et dialectal?
3. Quels sont les aboutissements morphologiques de la chute du -s final pour les verbes et les pronoms?
Après l’effacement du -s final comment la langue a-t-elle réagi pour distinguer le singuleir et le pluriel?
Quels sont les processus qui ont contribué à la déchéance progressive de la flexion du féminin?
Comment s’exprime le féminin depuis le XVIs s. – phonétiquement, morphologiquement, suntaxiquement?
Pourquoi, tout en développant la syllabe ouverte (qui se terminent par une voyelle), la français possède beaucoup de mots avec des syllabes fermées?
II. 1. A quoi sont dues les fluctuations de la catégorie du genre ?
Comment sont formés les degrés de compariaosn des adjectif au XVIe s.?
Pourquoi au XVI e s. apparaît-il le suffixe du superlatif -issime pour former le superlatif?
2. Comment se développent les articles au XVIe s.?
Quelle est la nouvelle classe de mots que l’article défini commence à accompagner?
4. Par quelles voies se fait l’unification des désinences du verbe?
Par quelles voies se fait l’unification des radicaux du verbe?
Les lois d’analogie agissent avec moins d’intensité dans les dialectes que dans la langue littéraire. * Pourquoi?
Quelles sont les données (objectives et précieuses) que la dialectologie et la linguistique géographique fournissent à l’histoire de la langue français?
Expliquez pourquoi c’est notamment à partir du XVIe s. que l’emploi des pronoms conjoints auprès des verbes devient indispensable et obligatoire.
III. Quel type de phrase est surtout fréquent au XVIe s. et pourquoi?
Devoirs
I. 2. Commentez ces transformations : aorner [aorner] > orner [orner], aoust [au(t)] > [u].
Commentez cette transformation: libarté, parmission, parsonne.
Expliquez pourquoi en français moderne il existe deux séries de suffixes: eur / euse et (t)eur / (t)rice ?
3. Etudiez la série suivante et dites comment est exprimé le pluriel au XVI s. par un moyen grammatical (avec une flexion) ou par un moyen phonétique bonet / bonêts ([bone] / bone:]); but / bûts ([but] / [bu:t]).
Faut-il faire la liaison dans les mots suivants: hareng, Pourquoi? De quelle origine sont ces mots?
II. 3. En français les possessifs (tout comme les démonstratifs) se sont répatis en deux classes (tonique / atones) qui se sont spécialisés à leur tour: les toniques sont devenus pronoms, les atones sont devenus adjectifs. Et en russe les possessifs et les démonstratifs ont –ils une telle spécialisation?
Etudiez Voilà que c’est le bon traictement et la grande familiarité que leurs avez par cy davant tenue vous ont rendu envers eulx comtemptible et expliquez pourquoi le pronom personnel n’est pas obligatoire ici.
En français moderne il y a deux séries de a formation du pluriel des mots en -al: général / généraux et bocal / bocals. Laquelle de ces deux séries et plus ancienne (plus moderne)? * Pourquoi?
Remplissez la grille des divergences entre les emplois et les valeurs du subjonctif moderne et ceux du subjonctif du XVI s.
Le subjonctif du XVIe s. |
Le subjonctif moderne |
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IV. Sur quelle tendance portent les paroles de P. Ronsard: «Il faut dire: Le roy alla coucher de Paris à Orléans et non pas: à Orléans de Paris le roy coucher alla». Prouvez qu’au XVIe s. le français est déjà une langue analytique.
Les travaux dirigés